L’enseignement familial comme alternative au pastorat féminin

[Crédits d’image: Kevin Carden]

Dans cette série sur « le vrai problème du pastorat féminin », nous avons déjà vu :

  • Que la confusion du débat vient du fait que nous ne prenons pas en compte notre ordre économique dans la définition des rôles genrés.
  • Que le vrai problème d’interdire le pastorat aux femmes, c’est la définition du pastorat et non de le barrer aux femmes.

Dans cet article, nous allons voir que le vrai problème d’interdire aux femmes d’enseigner vient du fait qu’on met l’enseignement au mauvais endroit. En fin d’article je suggérerais qu’il nous faut changer notre lieu d’enseignement, afin que ce ne soit plus l’église locale mais la famille qui soit le centre de la vie chrétienne, de manière à ce que les femmes puissent enseigner tout leur content, que cela soit satisfaisant pour elles, et que l’injonction biblique ne soit pas enfreinte.

C’est une des objections les plus courantes à l’opposition au pastorat féminin : « Que faire pour les femmes qui ont un don d’enseignant/ qui étudient la théologie ? » N’ont-elles donc pas droit à un débouché pour leurs capacités données par Dieu ? N’est-ce pas une insupportable discrimination que de donner la charge d’enseignant à un homme moins compétent que sa sœur d’à côté ?

Pour ma part, en tant que complémentarien, je l’affirme : Oui, c’est tout à fait vrai. C’est un grand dommage que les femmes ne puissent pas enseigner.

Sauf que le problème n’est pas qu’elles ne puissent pas enseigner à l’église, et que la solution n’est pas d’ouvrir le pastorat aux femmes.

Le problème est que l’église seule est le lieu de transmission de la foi, et la solution est de ramener ce lieu dans la famille. Développons.

Dans la Bible, c’est la famille qui est le lieu de transmission et non l’assemblée

Il est remarquable de voir que le texte fondateur qui parle de la transmission de la foi confie la mission de transmission au père de famille en premier et non uniquement au prêtre.

Ces paroles que j’institue pour toi aujourd’hui seront sur ton cœur. Tu les inculqueras à tes fils et tu en parleras quand tu seras chez toi et quand tu seras en chemin, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras. – Deutéronome 6.6-7

Le fait que cette mission est confiée au cercle familial est confirmée à de nombreuses reprises dans les Proverbes, Proverbes 22.6 pour l’exemple le plus clair. Ce n’est donc pas seulement conforme à la Loi mais aussi à la Sagesse de Dieu. Plus surprenant encore, on retrouve cette injonction à l’occasion des Psaumes :

Ce que nous avons entendu, ce que nous connaissons, ce que nos pères nous ont raconté, nous ne le cacherons pas à leurs fils, mais nous dirons à la génération future les louanges du SEIGNEUR, nous raconterons sa puissance et les choses étonnantes qu’il a faites. Psaumes 78.3-4

Ce qui est remarquable, c’est que le Psaume 78 a probablement un usage liturgique (=conçu pour une cérémonie publique) comme il apparaît au verset 1 : « Mon peuple, prête l’oreille à ma loi ! Tendez l’oreille vers les paroles de ma bouche ! » Il n’y aurait pas de sens à appeler « mon peuple » s’il n’y avait pas d’assemblée pour le déclamer. Autrement dit : l’enseignement de l’assemblée est coordonné à l’enseignement familal.

Cette orientation est toujours valable dans le Nouveau Testament. C’est ainsi qu’il faut comprendre les instructions que les apôtres font de l’éducation des enfants. Ephésiens 6.4 est l’exemple le plus clair :

Et vous, pères, n’irritez pas vos enfants, mais élevez–les par l’éducation et les avertissements du Seigneur. – Ephésiens 6.4

Il apparaît en quelques mots :

  • Que même dans les églises du Nouveau Testament, la famille est comprise comme un lieu de transmission de la foi.
  • Que les dispositions de l’Ancien Testament ne sont ni abolies ni modifiées, mais au contraire considérées comme acquises (comme le prouve les versets 1-3 juste avant).

Cela suffira donc à prouver que l’enseignement de la foi appartient à la famille et non à l’assemblée, et que c’est à l’église de soutenir les familles dans cette tâche. Or, nous vivons généralement l’inverse dans la France évangélique de 2019.

France, 2019 : L’assemblée seule est lieu de transmission de la foi

Je dis cela à partir de ces observations – qui ne sont évidemment valables que selon mon expérience limitée.

  • Nous concevons que les doctrines chrétiennes doivent être enseignées à l’église, de préférence dans un « club des enfants » ou autre nom.
  • On n’y utilise pas de catéchisme formel (comme le nouveau catéchisme pour la cité)
  • Les familles qui voudraient enseigner la foi à la maison découvrent qu’elles n’ont en fait aucune idée de comment faire, et doivent se débrouiller par elle-même.
  • Malgré la bonne volonté évidente de la part des pasteurs et le fait qu’ils enseignent que c’est aux familles de transmettre la foi, rien n’est fait concrètement pour équiper et guider les parents à le faire.

Avec encore toute sortes de réserves, je propose humblement les causes suivantes :

  • Nous concevons que notre vie religieuse et spirituelle doit se dérouler forcément dans un lieu religieux/spirituel. Notre esprit a absorbé la compartimentation entre le spirituel et le séculier.
  • Notre époque est très hostile à toute forme de transmission, et nous montrons sa marque sur nous lorsque nous avons peur « d’endoctriner » nos enfants, ou de leur mettre un carcan de tradition sur leur petite âme. [Spoiler : j’ai découvert pour ma part que mes enfants aimaient ça en fait, tant que c’est bien fait]
  • Nous concevons que la vie religieuse est pour les adultes/personnes matures, et attendons donc que les enfants soient assez matures pour absorber la foi. Le temps que cela se fasse, les années les plus formatives sont déjà passées et les idées séculières sont déjà présentes.
  • Nous avons absorbé le « culte de l’expert » très commun à notre époque, qui fait que nous laissons toutes les actions les plus critiques (l’éducation, mais aussi les décisions politiques et financières) entre les mains des experts, nous réservant le rôle de consommateurs. Pour l’éducation religieuse, il nous apparaît donc naturel que ce soit le rôle d’un expert plutôt que de nous-même.

Les conséquences sont connues de tous, et elles scandalisent de plus en plus : nous perdons nos enfants à l’athéisme dans des proportions ahurissantes, le niveau de connaissance biblique de ceux qui restent est anormalement bas. Et la plupart du temps, les seules réponses sont « nous attendons le prochain réveil ! » Dieu est puissant et a montré toute sa force par le passé, mais pour ma part, je sais que je suis responsable du salut de mes fils, et je refuse qu’ils grandissent dans l’église pour tomber dans l’athéisme à l’âge adulte comme j’ai failli le faire. Je suis prêt à combattre mon éducation et ma culture pour que mes enfants soient épargnés par les ténèbres de l’incroyance, « et que le SEIGNEUR fasse ce qui lui plaira ! » (1 Sam 10.12)

Revenons à présent à la question de l’enseignement féminin. Quel est le rapport entre cette question assez théorique de où se fait la transmission de la foi et cette question plutôt pratique ?

Historiquement, il n’y avait pas de tension autour de l’interdiction du pastorat féminin principalement parce que les femmes étaient déjà les principales enseignantes de l’église… par leur famille. Même si l’éducation était toujours comprise comme étant sous la présidence du père, les témoignages des anciens confirment toujours l’importance énorme qu’avaient les mères dans le développement spirituel et doctrinal de leurs enfants. Ambroise de Milan n’aurait rien fait sur Augustin si sa mère Monique n’avait pas déjà donné à son fils une idée basique du christianisme. Louis IX n’aurait jamais été « saint » Louis sans l’exemple et l’éducation pieuse que lui a donné sa mère Blanche de Castille. John Wesley a été éduqué à Dieu par sa mère et non par son père absent. Cette dernière – Suzanna Wesley- a par ailleurs écrit des commentaires sur le Credo, le Notre Père, et les Dix Commandements pour s’aider elle-même dans sa tâche, ainsi que des commentaires de l’Ecritures. De tels exemples se trouvent facilement dans toute l’histoire de l’église.

A présent, le problème est facile à comprendre : il y a effectivement des frustrations légitimes de la part des femmes qui veulent être enseignantes. Ces désirs sont légitimes et même sains, voulus de Dieu, mais la seule façon de les mettre en pratique dans l’église, c’est de devenir pasteur. D’où le problème.

Il y a évidemment une solution simple, c’est la solution égalitarienne : ne rien toucher à l’organisation, et simplement ouvrir le poste aux femmes. Mais d’un point de vue complémentarien, il n’en est pas question, et pourtant il est hors de question de laisser ces frustrations se développer. Nous n’avons donc pas le choix : il faut refaire du christianisme une religion familiale et non plus une religion pour « initiés ».

De cette manière, les femmes seront enseignantes, et elles seront même les principales enseignantes de l’assemblée, celles dont l’impact sera le plus profond et le plus stratégique pour le futur de l’église locale, bien plus que n’importe quel pastorat féminin.

Ce que nous devons faire

Comme pour le précédent article, je propose les idées telles qu’elles me viennent. Certaines seront bonnes, d’autres mauvaises, d’autres à corriger et adapter. Utilisez abondamment votre discernement et n’hésitez surtout pas à appliquer ce qui est bon.

  • Cesser de faire des « clubs des enfants » à part de l’assemblée, et à la place former les parents à catéchiser eux-même leurs enfants. Ce n’est pas le rôle de l’église que d’enseigner directement les enfants, c’est celui des parents. En revanche, il est tout à fait adapté de former ceux qui sont responsables de cette formation. Sans compter que les parents sont continuellement avec les enfants et non l’inverse. En profiter aussi pour former à la pédagogie, si jamais vous avec un instituteur ou un professeur de secondaire dans l’assemblée…
  • Adopter un catéchisme formel (Nouveau Catéchisme pour la cité, Heidelberg, Petit Westminster…) orthodoxe et sûr. L’intégrer à la routine des cultes publics, dans les prêches etc… L’idéal est de faire retenir par cœur les questions-réponses. Mais il est tout à fait acceptable –à mon sens- de s’en servir comme canevas pour l’enseignement, sans insister trop lourdement sur l’apprentissage par cœur –tant que la mémorisation n’est pas méprisée. La question de « quel catéchisme » est sans importance pour l’instant : commençons déjà par enseigner nos enfants, ensuite on se posera la question du comment au juste. Ce catéchisme sera donc enseigné aux parents, qui l’enseigneront aux enfants.
  • Faire découvrir la biographie de femmes comme Monique, Blanche de Castille, Suzanna Wesley… Notre époque a généralement horreur des modèles anciens, et ne donnent aux femmes que des rôles inadaptés. C’est donc à nous de faire découvrir d’autres modèles de féminité.
    • Dans la même veine, mettre en valeur et glorifier les femmes qui enseignent leurs enfants dans votre assemblée.
  • Le culte devra être conçu comme le couronnement des cultes familiaux de la semaine, au lieu de voir les cultes familiaux être conçus comme des cultes publics en moins bien. Il faut donc mettre une nouvelle emphase sur la tenue et la pratique de ces cultes familiaux, responsabiliser les parents (et surtout les pères), et aider le plus complètement possible les familles à ces cultes familiaux, qui devront être une occasion d’enseignement. (Mise en réseau, soirée « parents enseignants », témoignage de cultes familiaux pendant le temps des annonces etc).
  • De même, il faut réformer notre vision de l’enseignement pour les enfants. On se rappelera la blague immortalisée par Babylon Bee : « Un pasteur pour jeunes est promu au rang de vrai pasteur » : elle sonne juste et correspond à une réelle culture dans nos églises. Nous devons changer notre regard et considérer
    • Que le plus grand potentiel de croissance de nos églises se situe dans nos enfants ;
    • Que c’est le public le plus facile à atteindre pour l’évangélisation ;
    • Que les plus belles doctrines du christianisme ne sont pas celles qui demandent de décomposer un nom hébreu ou lire 8 millions de pages de tradition mais la proclamation de l’évangile pure et basique ;
    • Que nous devons réapprendre à proclamer et articuler cette doctrine basique pour l’articuler ensuite auprès de nos enfants.
    • Il nous faut canaliser nos enseignements. Historiquement tout l’enseignement de l’église était suspendu autour de l’apprentissage et de l’exposition des trois textes suivants : Credo, Notre Père et Dix Commandements. Nous devons rétablir cette discipline collective de ne pas aller enseigner « ce que j’ai reçu sur le cœur cette semaine », mais bien plutôt ce dont mon fils aura besoin pour survivre à l’athéisme à l’adolescence.
    • Prendre confiance dans nos propres capacités d’enseignants, et dans les capacités d’apprendre de nos enfants. Oui, nous sommes une génération d’ignorants et nos enfants sont une génération de distraits –Comment ne pourraient-ils pas l’être ? Mais il y a eu de plus grands obstacles par le passé, et l’église a malgré tout transmis la Foi à la génération suivante. Vous êtes capables d’enseigner vos enfants. Même sans grec, ni hébreu, ni lire de volumineuses systématiques. Même sans savoir lire, vous pouvez transmettre l’évangile à vos enfants. Et de l’autre côté, vos enfants sont capable d’apprendre tout ce que vous pouvez leur transmettre. A 5 ans, mon fils connaît parfaitement le Notre Père, il a bientôt fini d’apprendre les Dix commandements, et connaît les dix premières questions de Heidelberg… Je n’ai pas encore atteint de vraie limite dans sa mémoire et son attention. La seule chose que tout cela demande ? Du temps et du travail.
    • Prévoir un espace et un temps de partage entre parents de l’église pour qu’ils puissent témoigner de comment ils font la catéchèse de leurs enfants. Pourquoi pas au temps des annonces ? Ainsi ils encourageront tous les parents par leur exemple, et ils donneront des idées à ceux qui pratique déjà.
  • Prévoir des recommandations de lecture pour parents désireux de progresser en capacité d’enseignement. Les livres devront être orthodoxes, de niveau introductif, variés et portant sur tous les sujets, de l’apologétique à l’exégèse. Bénédict Pictet a écrit une introduction à la théologie très courte, bien faite et utilisable facilement pour des parents.

Vous remarquerez qu’une seule parmi toutes ces remarques est dirigée spécifiquement pour les femmes : c’est un autre grand avantage que de recouvrer cet équilibre : nous cessons d’atomiser l’humanité entre « hommes » et « femmes », et nous nous adressons à nouveau au peuple de Dieu comme les « familles de la terre ». Les femmes sont à la fois « rendues puissantes » [empowered] pour l’enseignement, et en même temps libre de l’organiser comme elles l’entendent avec leurs maris.

Ainsi la recommandation de Paul en Tite 2.3-5 (l’exhortation aux femmes aînées de former les jeunes femmes) ne sera plus perçue comme un insultant trophée de consolation, un dérivatif au fait qu’elles ne peuvent pas enseigner dans la grande assemblée. Ce sera au contraire l’institution d’un pouvoir réel des femmes sur l’assemblée, non pas direct, mais bien plus réel que si une parmi cent d’entre elles avait la tribune une fois par mois

Je travaille à cette vision. Et vous qu’allez-vous faire ?

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