Le postmodernisme des catholiques du XXIe siècle

Le titre initial de cet article était: « L’épistémologie postmoderne du catholicisme romain ». Mais j’avais peur des trop grands mots. Il n’empêche que c’est exactement ce que je vais présenter ici: comment le système doctrinal du catholicisme se base sur une définition de la vérité présentée et défendue par des philosophes post-modernes. Je vais jargonner une dernière fois, ensuite je vulgariserais et expliquerais plus soigneusement ma thèse: le système doctrinal catholique est pratiqué non selon une épistémologie fondationnaliste, mais une epistémologie cohérentiste qui est en répugnance avec la tradition chrétienne.

Epi-quoi? Fonda-quoi? Cohé-qui? Je vais vous expliquer ce que « épistémologie fondationnaliste/cohérentiste » veut dire, ensuite pourquoi cela s’applique à au système doctrinal catholique et enfin pourquoi c’est un problème.

Ca veut dire quoi « epistémologie cohérentiste »?

Lorsque vous serez initiés à la philosophie contemporaine, une des premières leçons que vous recevrez sera sur le débat du « fondationnalisme » versus « cohérentisme » et autres. Il s’agit de deux réponses à la question: « Comment nos différentes connaissances sont -elles structurées ensembles? » Cette question est traitée par la branche de philosophie qui se préoccupe de « comment connaît-on » – l’épistémologie.

La position la plus classique jusqu’au XXe siècle -dans la mesure où on s’est posé la question bien sûr- est la position fondationnaliste. Il s’agit de dire: « Nos connaissances sont construites les unes sur les autres à partir de connaissances basiques ». Il y a une distinction qui est faites entre les connaissances basiques – celles que nous expérimentons ou avons directement – et les autres, qui sont bâties par déduction d’autres connaissances.

Ainsi notre structure de connaissances est comme une cathédrale qui à partir des piliers basiques, s’élève de plus en plus haut, avec chaque nouvelle pierre (ou connaissance) qui s’appuie sur celles du dessous. Il y a bien sûr des subtilités, mais cela suffira dans cet article. Ainsi, une connaissance est vraie parce qu’elle est fondée sur des connaissances basiques ou fondées sur d’autres connaissances fondées elles-même sur des connaissances basiques.

Tout le point délicat de cette vision est justement la définition de « connaissance basiques »: que sont-elles? Comment sont-elles justifiées? Qu’est ce qui compte comme basique? Alvin Platinga défendait une telle position justement, et argumente en plus que l’existence de Dieu est justement une connaissance proprement basique, comme savoir que le monde existe. C’est donc une position très pertinente pour les chrétiens aujourd’hui.

Une position plus récente est la position cohérentiste. Il s’agit de dire qu’une proposition est vraie si elle est cohérente avec d’autres propositions. On prendra plutôt l’image d’un filet où une nouvelle connaissance peut s’insérer si elle correspond aux mailles déjà présentes. Il y a juste un problème dans cette option: on a perdu la notion historique de « vérité » comme « correspondance avec la réalité ». Autrement une chose est vraie si elle est cohérente avec ce que je crois déjà, pas parce qu’elle correspond à la réalité.

Vous croyez qu’en réalité Jésus est un mythe qui n’a jamais existé? Et bien c’est cohérent avec votre croyance que Dieu n’existe pas, et que le surnaturel n’existe pas, et que les textes antiques sont interpolés par les vilains chrétiens, et que… Donc pour un athée il est vrai que Jésus est un mythe parce que c’est cohérent avec son système de croyances. Pour un chrétien, il est vrai que Jésus est un personnage historique parce c’est cohérent avec son système doctrinal. C’est ce genre de problème qui fait que le cohérentisme est classifié parmi le post-modernisme, à cause de la définition de la vérité qu’il présuppose.

Pourquoi les nouveaux catholiques seraient-ils cohérentistes?

En soi, je ne pense pas pouvoir prouver que dans les textes, le dogme catholique soit cohérentiste. Leur théorie du développement doctrinal est bien fondationnaliste dans son déroulement. Je pars d’une connaissance basique (la révélation divine, qui dit que Marie est mère de Jésus) pour élaborer des dogmes (Jésus est Dieu) qui seront la base d’autres dogmes (Marie est mère de Dieu). Et ainsi, depuis la fondation de Jésus-Christ, se bâtit la doctrine catholique, dont tous les développements sont fondés directement ou indirectement sur la révélation divine.

Mais ça, c’est ce qu’en dit le Cardinal Newman. La théorie pratiquée par le magistère actuel n’est qu’une cousine bâtarde de cher transfuge, et ce qui est surprenant c’est de voir que beaucoup de catholiques, même conservateurs, le suivent.

Pour résoudre les ambiguïtés et les contradictions de cher François, les voilà obligés de réinterpréter leur tradition. Un exemple bien juteux se trouve dans l’article de Robert G Kennedy publié dans Catholic world report – un journal conservateur. Il développe une argumentation centrée autour de la cohérence, plutôt que des fondations de cette révision. Après une introduction, il propose quatre arguments:

  1. Que la révision du pape François est cohérent avec le principe même de développement doctrinal, et son déroulement habituel.
  2. Que cette révision est cohérente avec l’interdiction formulée par l’église à l’état de tuer hors d’un jugement légal. L’église catholique réprouve les meurtres accomplis par 007, mais avaliserait ceux décidés par un juge?
  3. Sur quelles bases est fondée la peine capitale de toute façon? Note: A priori, la Bible ne lui est pas venue en tête à ce moment là
  4. Si vous vous soutenez la peine de mort, alors il serait cohérent de soutenir aussi les châtiments corporels.

Ces quatre arguments (à lire dans l’original) sont tous articulés de façon cohérentiste: plutôt que de se demander si la peine capitale est fondée, on cherche plutôt à dire qu’elle est cohérente et bien intégrée dans le réseau de dogme existant, et que l’inverse ne l’est pas.

Un autre exemple, plus conservateur: Edward N. Peters dans un article publié dans Catholic World Report, nous prouve que l’on peut faire un procès et destituer un évêque « indigne ». 

Ce qui est intéressant dans cet article, c’est la méthode même d’argumentation: il rebondit de texte de loi canonique en texte de loi, jusqu’à atteindre son but, et réussir à faire tenir dans un même réseau de vérité « Le prélat est inattaquable en justice » et « le prélat est attaquable en justice ». Il n’argumente pas selon le fondement de la responsabilité juridique des prélats, mais selon la cohérence du droit canonique.

Ce qui est très drôle cependant, c’est que le même auteur, exactement le même auteur avait une argumentation fondationnaliste lorsqu’il s’opposait à la révision du catéchisme. 

Lorsqu’ils sont d’accord avec la tradition catholique, les catholiques sont fondationnalistes. Lorsqu’ils sont en désaccord, vite le cohérentisme! Ce changement de conception de la vérité même est catastrophique, même s’il est plus pratiqué que théorisé.

Le danger qui guette les romanistes

D’après mes observations donc, ce cohérentisme n’est pas du tout dans les textes, mais est plutôt une sorte de réflexe de défense pour réfuter une idée avec laquelle on est en désaccord. Chez les protestants, on bat des bras en disant que ce n’est « pas biblique » et donc infondé. Chez les catholique, on bat des bras en disant je vous salue marie « ce n’est pas conforme » et donc incohérent.

Mais incohérent selon quelle vision? Le problème de l’épistémologie cohérentiste, et c’est toujours la même objection qui est levée contre eux, c’est qu’il permet à deux personnes d’avoir deux idées contradictoires et de dire « vrai » toutes les deux!

« Jésus est un mythe » est cohérent avec l’athéisme et donc vrai pour un athée. « Jésus est un personnage historique » est cohérent avec le christianisme et donc vrai pour un chrétien.
« La peine de mort n’est pas permissible » est cohérent avec une vision récente de ce qu’est le catholicisme (Au hasard: Vatican II? ) – et donc vrai. « La peine de mort est permissible est cohérent avec une vision plus ancienne et mieux fondée du catholicisme – et donc vrai.

On le voit, c’est déjà une fourberie grave, intellectuellement. Mais quand on parle de l’église catholique, cela devient un risque mortel. Je vous rappelle qu’officiellement, celui qui est pour, comme celui qui est contre, sont unis dans leur soumission au pape. Si chacun d’entre eux se soumet à un enseignement différent à cause de leur cohérentisme, que devient l’unité catholique? Et avec l’unité, que devient la survie même de l’Eglise de Rome?

Les auteurs catholiques doivent absolument veiller à ne pas développer d’arguments basés sur la cohérence et revenir à des arguments basés sur les fondations. Lorsque vous développez une doctrine, ne faites pas références à d’autres doctrines, faites références à la fondation de toutes les doctrines.

C’est là que le système papiste dans son ensemble a comme un trou dans sa coque. Contrairement au système protestant, qui reste robustement (et parfois rustiquement) collé à la fondation scripturaire, le système catholique admet comme « fondation » ce qui n’est pas proprement basique, mais déduit d’autres connaissances. Et depuis le temps, il y a beaucoup d’étages qui ont été rajoutés, au point où il n’y a plus besoin du tout de références faites aux Écritures.

Je ne dis pas qu’il n’y a pas de références à la Bible dans les discours catholiques (au contraire). Je dis qu’ils ne sont plus nécessaires. Au XXIe siècle, la Bible pourrait disparaître sans que le système doctrinal catholique en soit affecté.

Pas étonnant que dans ces conditions on en vienne à des argumentations contradictoires qui s’auto-justifient. Pour sauver le catholicisme, il faudrait pouvoir faire le tri dans tous les dogmes, s’assurer qu’ils sont tous soigneusement justifiés, bien fondés sur des dogmes solidement établis, au delà de toute autorité humaine.

Bref, pour sauver le catholicisme du cohérentisme, il est nécessaire de changer de méthode de développement doctrinal. Il faudrait que l’Ecriture seule fasse autorité suprême et que toutes les argumentations partent de l’Ecriture comme base.

Genre… sola scriptura.

7 commentaires sur “Le postmodernisme des catholiques du XXIe siècle

  1. « La peine de mort est permissible » est cohérent avec une vision récente de ce qu’est le catholicisme (Au hasard: Vatican II? ) – et donc vrai. « La peine de mort n’est pas permissible est cohérent avec une vision plus ancienne et mieux fondée du catholicisme – et donc vrai.

    Tu voulais dire l’inverse, non ?

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